L'equilibre du bonheur





Il y a peu, je me suis installée. Coincée entre le Lac Léman et le Jura. Coincée entre l'eau et la montagne. J'ai fait un dernier retour dans le Sud, et bouclé les cartons pour la dernière fois. Une bonne fois pour toute. J'ai embrassé les amis. Embrassé les grands-parents et la mère, et le père, et le frère, et le filleul. Embrassé cette vie qui m'a portée durant quatre années au bord de la mer, entre le sable et les voies ferrées.  J'ai fermé la porte de l'appartement sans verser une larme et ouvert la porte du suivant avec beaucoup d'émotions.

Maintenant, je vis entre le Lac et la Montagne. Un village. Une centaine d'habitants. Le silence. Le brouillard. Et puis parfois le soleil et la rosée. Alors je me promène dans ma nouvelle vie. A quinze minutes, il y a la Faucille, sa neige arrivée/fondue/revenue. Il y a l'étang de Cessy,  où j'ai fait les premiers pas sous la pluie. La source de l'Allondon, dont je suis tombée amoureuse, et des sentiers par milliers où poser les pieds. Je suis coincée, mais je n'ai jamais été aussi libre, aussi heureuse de me trouver quelque part.  J'ai enfin trouvé le parfait équilibre entre mon besoin de "bouillon de culture" et de "tranquillité montagnarde".

Le Sud en Automne, ici en hiver. 

Septembre, l'automne, et les résolutions.

Juillet est passé si vite. Ralentir était impossible. C'est le cas depuis des mois. 
Et puis d'un coup, ça a été le calme absolu. 
Le vide. 
L'absence. 

Début Septembre, il y a eu la Corse, les jolis couchers de soleil, les thés, tôt sur la terrasse. Le plaid sur les genoux sur le canapé extérieur. T. au barbecue qui remue les côtes d'agneau. Les salades composées concombre-tomates-thon-maïs-salade. La vue sur la baie de Porto Vecchio. Le silence si ce n'est le bruit des vagues sur les rochers, plus bas en dessous de la maison. Les copains qui se lèvent, pose un baiser sur mon front, s'assoient autour de la table et partagent le café, la brioche et la confiture de figue sur le beurre salé. La rivière calme, la pause autour d'un bassin dans lequel on ne pouvait pas se baigner. "Eau contaminée", disait le panneau, au début du chemin. Les jeux de tarots jusque tard le soir. Le bon vin sur la table. L'huile d'olive sur les doigts. Les sourires complices, d'un bout à l'autre de la table. Les tranches de Coppa à la trancheuse. Les lasagnes, la tarte au citron de M. et les citronnades à la menthe maison. 
Il a fallu regarder le temps passer. 
Et ça fait du bien. 



Le 21. L'automne. Le vent dans les branches des arbres, dehors. De ma fenêtre, je ne vois que la montagne en face, et si je me penche un peu, si je baisse les yeux, il y a le clocher, les toîts du village. Le chien aboie au moindre bruit. Je lui dit "c'est le vent", mais il aboie de plus belle. Les chats dorment, enroulés les uns sur les autres entre les jambes de l'amoureux qui dort, lui aussi. 
Il est tôt. Le soleil se lève à peine sur les montagnes. Il descend le long de la façade et ne viendra sur la maison que vers dix heures. Onze pour que la terrasse soit inondée de chaleur. En attendant, il y a le thé au chocolat 
Et dans le carnet des envies, il y a la liste des choses à changer, à améliorer, à faire. 

1. Reprendre le sport. La piscine. Marcher. Courir. Le yoga. Reprendre l'habitude de mener mon corps à ses limites. 

2. Prendre le temps de regarder passer les nuages. S'entend par là que je dois arrêter de courir partout, et retourner aux essentiels. Ce n'est pas grave si je ne peux pas "tout" faire. 

3. Tricoter ce plaid qui me fait de l'oeil depuis cet été. Il faudra acheter des aiguilles de 15mm. Et de la laine grise chinée. 

4. Reprendre mon mémoire sur Anaïs Nin. Et peut-être cesser mon obsession pour son Journal de l'Amour et sa Correspondance Passionnée avec Henry Miller. 

5. Ecrire plus. 


Et vous, quels sont vos objectifs, cet automne ?












En Septembre, ce sera Lyon. Mais d'abord la Suisse.













En Suisse, il y a eu la belle rencontre. De sourires en fou rires et de weekends en semaines. J'ai passé des heures à essayer de m'expliquer comment on peut passer des années à côtoyer quelqu'un, de loin, avec la distance des inconnus, des gens qu'on ignore, sans savoir que cette personne qui passe, qui sourit, qui parfois salue, nous ressemble. Qu'elle a sa place, dans cette vie. Et qu'il faut rattraper le temps perdu loin l'un de l'autre. 

Il m'a emmenée voir le Jura. Les forêts de pins sont les mêmes que chez moi mais en différentes. Ici, les pins ont l'air d'avoir pleuré. La pluie alourdissait leur branches et assombrissait la forêt. Parfois, c'était comme la nuit en plein jour. J'ai rencontré d'autres personnes. De chouettes personnes. Beaucoup de musiciens. Ils sont un peu, ou beaucoup plus âgés que moi. C'est comme si je leur avais toujours appartenu. Comme si j'avais toujours été à ma place ici. 

A. m'a emmenée voir Selah Sue en concert. Et les Cardigans. On a mangé une pizza trop pimentée, en écoutant trois jeunes jouer une musique pour laquelle je me sens soudainement trop vieille. Le vent s'est levé, les nuages se sont zébrés d'éclairs, le ciel a grondé et on a couru sous la pluie battante en riant pour se réfugier dans la voiture. C'était tout noir dehors, le ciel ne laissait pas passer les rayons de la lune, et toute la route du retour, j'ai conduit les doigts crispés sur le volant et A. qui me parlait à côté de moi. On a ri. Beaucoup. Comme avant. J'ai l'impression que ça faisait une éternité qu'on ne s'était pas parlés. 

Dans ma valise, il y a deux mois et une semaine de projets et de joie. Je sautille sur place de savoir le départ si proche. Bientôt, je retrouverai tous ces gens qui mettent de la couleur à ma vie. Avec qui je me sens à la maison. On recommence un Paléo. Cette fois-ci, je suis prête. 
Attendre le petit train de l'Asse avec ma valise, c'est comme chaque fois toute une aventure pour garder mon calme. Pour rester patiente. Pour un peu, je partirai à pied, parce que j'aurais l'impression d'aller plus vite. D'arriver plus rapidement. Ce train qui n'arrive pas avant une bonne heure rend difficile la petite fille capricieuse en moi. 



La photo, c'est la lumière que j'aime le plus, ici. Entre 18h et 22h. Avec le Jura comme décor. 

J'ai une frange depuis 64 jours, maintenant.




Mars.
Une rangée de cheveux au dessus des yeux. Comme un rideau. Je vois à travers, mais les gens ne voient plus en dedans. Ca fait du bien de se laisser respirer. D'oser. La frange est un premier pas.
C'est drôle parce que, dans le miroir, c'est ma mère que je vois. Ses traits, ses yeux, mais mon sourire. Ca me fait rire de voir que nous avons presque le même visage au même âge. Ca me rassure de lui ressembler autant. Elle ne sait pas réellement combien je suis fière de lui ressembler. Quelle femme merveilleuse elle est. J'avais une sorte de frange à dix-huit ans. Ca me rassure de la revoir, chaque jours. Sous la frange, j'étire le sourire. J'étire les bras, enlace les gens. Enlace l'Amoureux, en dépit de tout ce qu'on pourra dire. Ne plus le laisser partir. Et laisser de côté les doutes, les questions, les deux mondes si différents.

Avril.
Je laisse du répit à mon corps.
Alors doucement, je bois moins d'alcool. Je mange mieux. Et je marche. Beaucoup. Ca m'évite de penser - de marcher.  J'étire mon corps, le force à l'équilibre, le ramène à ses limites. Je bouge au fur et à mesure que je respire. Lentement. Calmement. Et je tiens les positions de yoga avant de, souvent, m'écrouler. Je n'ai pas encore acquis la patience. Mais la fois suivante, je tiens plus longtemps. J'apprends doucement à observer les détails, à apprécier les petits pas de bébé dans la progression.
Avril a fait courir mon coeur, lui a donné un rythme, comme à un coureur du cent mètres.
L'amoureux est parti. Les doutes et les deux mondes étaient là. Ils ont fait un vacarme assourdissant. Le crâne et le coeur n'en finissaient plus de se disputer, et il est parti. Ca fait vide dans le lit, dans l'appartement, dans la vie. Et ça ne change rien qu'il soit parti : les doutes sont toujours là, les peurs serrent toujours le coeur. Il n'y aura pas de tente partagée, ni de câlins pour s'endormir. Ce sera différent. Paléo sera différent. Un peu plus, et tout se brisait à l'intérieur de mon corps.  J'ai retenu les larmes. Dévoré ses lèvres. Fermé la porte et recommencé à respirer.

Mai.
La Suisse m'attend, et avec elle, les câlins, les sourires, les surprises. On a visité Lyon, avec l'Amoureux-plus-trop-plus-beaucoup. Un weekend merveilleux. Lyon m'attend peut-être dès la fin de l'été. Il faudra à nouveau faire des cartons, quitter la Garçonnière pour de bon, et s'installer - seule - ailleurs. J'avais hâte, quand il était à mes côtés. Et peur de le voir dans cette vie. Que les deux mondes ne fassent plus qu'un. Maintenant, j'ai peur, et je suis impatiente.
C'est la peur de ce qu'il y a après, de l'inconnu, de ce brouillard qui donne du rythme à mes heures.
Viens, l'été.

Février est le mois le plus court, heureusement




Il y a des ratures plein mes carnets. Les listes-des-choses-à-faire s'allongent et n'en finissent plus. Je pense que c'est l'année des vingt-cinq ans et qu'elle me fait sans doute plus peur que celle des vingt-quatre. Je n'aurai plus le droit aux réductions SNCF, plus le droit aux réductions étudiantes, plus le droit à tout ce qui faisait encore de moi une adulescente. C'était bien, pourtant, la prépa folle, à dévaler la pente du boulevard Victor Hugo pour courir du lycée au travail et du travail aux soirées avec "les gonzs" et des soirées à mon lit. Et de m'écrouler de fatigue, avec le sourire aux lèvres de vivre aussi intensément. C'était bien, pourtant, l'université à Lyon, les couloirs bondés de monde, les conférences d'histoire de l'Art, la collocation à trois, puis quatre, puis deux, puis plus, et le garçon aux chaussettes blanches, et les discussions en italien-espagnol autour d'une bouteille de rhum. C'était bien, pourtant, le temps de Cap Martin, l'insouciance de nos vingt-ans, à courir pour attraper les trains, les talons dans une main, une cigarette dans l'autre, à jouer à l'équilibriste sur une bouteille de tequila.

Je lis le recueil de poèmes que maman m'a offert un jour. Ou plutôt,  je dévore. Sur la seconde de couverture, il y a sa dédicace à l'encre bleue, avec son écriture qui ressemble tellement à celle de grand-mère. L'encre s'efface un peu. Je devrais la recouvrir de plastique, pour qu'elle demeure encore un peu. Et partout dans le livre, il y a mes marques à moi. Un cœur, sur "Liberté", de Paul Eluard. Je n'ai pas rempli le cœur, mais je l'ai dessiné d'une traite. Les premiers vers de "La nuit" sont entourés. Les derniers aussi. Pourquoi ? Je ne me souviens pas. Ça avait l'air important, mais j'oublie toujours les pensées fragiles. Les pages de "Barbara" sont cornées et même un peu déchirées. Il a toujours été mon préféré. Sur la page de "l'Adieu", d'Apollinaire, il y a le début d'un poème que j'ai proprement raturé à la règle et au crayon gris-gras. Il faut que je relise Paroles, maintenant. 

Et puis il y a l'habitude qui s'installe. La routine établie. Le rythme de la semaine, l'attente du weekend, le manque de sommeil, le manque de temps, le travail qui prend toutes les miettes de minutes que je laisse filer. L'amoureux dessine des formes sur mes cuisses. Je laisse faire, je laisse dire, je laisse tranquille ma machine à pensée. Profiter de la simplicité de la confiance. 
Hiver. Cannes. Froid. Écharpe. Manteaux. Isola. Neige. Baume à lèvres. Frange. Pas frange. Douceur. Pull.Thé. Cigarettes. Boum, la voiture. Câlins. Cœur. Cris. Des listes. Gants. D'autres listes. Aller-retours. Draps. Chaleur. Tricoti-tricota.
Janvier s'en va comme il est venu.
Viens, Février. 



La photo, ce sont les envies Pinterest. 

C'était avant la Suisse.




13:13, je fais un voeu.
Comme chaque fois que ma montre affiche cette heure là.  Je ferme les yeux fort, fort, fort, et je me mords la lèvre pour ne pas le dire à voix haute. Je fais le même vœu depuis des mois. Un vœu de renouveau, de joie intense et d'aventures. Nous y voilà. La Suisse m'attend, et avec elle, c'est un mois de fête, de travail, de musique et de rencontres qui se profile. Je roule les vêtements de les glisse dans le grand sac en toile. Coince la trousse de toilette. Planque les appareils photo entre deux pulls. Et calme mes pieds qui s'impatientent. Voilà la suite tant attendue, le nouveau chapitre. Un mois, une parenthèse avant le retour et les grands chambardements. 

13:14, le vœu est passé.
Je ne fuis plus. C'est le bric-à-vrac de nos vies qui donne du rythme à mes heures.  Je me languis de la passion, et du danger. Je me fichais de ne pas être le genre-de-filles-qu'on-épouse. Je me fichais d'être l'amante et l'aimante, mais pas l'aimée. Plus maintenant. Maintenant, je me fâche de voir la Chose battre dans ce qu'il reste de ma poitrine brisée. Me fâche de constater qu'il reste de la place (Comment cela se peut ? Mais j'ai déjà débattu sur ce sujet). Me contente de retrouver des principes simples de respect, à commencer par celui que j'ai envers moi-même. Je veux être le genre-de-fille-qu-on-épouse. Je veux un enfant. Une fille. Et elle s'appellera Alice. Avec un homme qui n'aura pas peur. Pour un temps, sans promesses éternelles. La simplicité de la confiance.

13:15, le goût du bonheur en souvenir.
Les gâteaux au Nutella de mon frère, surprise du soir.  Voir A. amoureuse pour la première fois, à vingt-trois ans, et m'amuser de ses débuts avec bienveillance. Et un peu de jalousie. Les premiers émois sont si précieux. Les soirées au bord de la mer, à escalader les grillages pour se lover dans les trampolines des catamarans sortis de l'eau. Regarder les étoiles en parlant du voyage en Inde de Q.
L'absence d'alcool de mon système six jours sur sept, et la consommation réduite de nicotine. Me regarder dans le miroir et constater que j'ai fait la paix avec ce corps imparfait. Ces traits blancs, creusés sur mes hanches et l'intérieur de mes cuisses.


C'était écrit avant la Suisse, dans le cahier des voyages. Avant l'été et le grand chambardement qui a eu lieu dans ma vie. Maintenant, tout est évident, simple. Plus de questions, plus de doutes. Plus de fuite, plus de passé. Juste le futur, les projets, et l'excitation du temps qui passe.
Le vœu est réalisé. La photo, c'est le bonheur simple.  



Départs, retours et l'entre-départ-retour.







Imaginer. Prévoir. Faire des listes. Rêver. Sillonner le net pour des conseils, des contacts. Prendre une carte. Mettre des punaises dessus. De couleurs. Pour ce qu'on aimerait faire. Pour ce dont on n'est pas sûr de vouloir faire. Regarder le prix des caravanes. Et des sacs à dos 60L. D'une plus grande tente. Ressortir sa gourde de randonnée un an à l'avance. Commencer à faire une liste des vetements. Et des objets. Vider sa carte mémoire d'appareil photo de l'été. Se dire que vite, il faut recommencer. Voir les photos sur facebook de ceux qui sont déjà partis. Se dire "attendez-moi, j'arrive". Se dire "A mon tour". Se dire "Il n'est pas trop tard". Renoncer à une cigarette. Mettre 5 euros dans une boite à thé vide. Mettre 5 autres euros, qui a besoin de fumer ? 
Il faudra écrire. 
Acheter un carnet, un beau carnet, un beau livre. Ce sera suffisant pour trois mois ?
Se dire "j'ai tout le temps d'en acheter un autre d'ici le départ". Se dire que le dernier départ était pour la Suisse. Se dire que le prochain aussi, quelque part. Chercher un billet de train. Se dire "mais de toute façon, tu pars en voiture". Fermer l'onglet de la SNCF. Chercher un itinéraire sur Mappy. Mais le prochain départ sera forcément différent. Parce que le retour n'est pas prévu. Parce qu'il ne faut pas prévoir. Parce qu'il y aura Paléo. Et Aurillac. Et le Hadra. Et les vendanges. Et le road trip. Et après, l'incertitude de où, de quand, mais la certitude que ce n'est pas à Cannes.  Et que dormir dans une voiture ce ne peut pas être pire que cinq semaines sous la pluie. Et que ce sera merveilleux. 
Ecrire une lettre au meilleur ami dont l'anniversaire se fera le week-end prochain. Le rendez-vous annuel de l'amitié à la montagne. "Tu es l'ami du meilleur de moi-même". C'est exactement ça. Aimer ce qu'on est quand on est avec eux. Se dire qu'ils manqueront, après le départ. Décider qu'il faudra les voir quand même, après le départ. Ils sont tellement éparpillés dans le monde, c'est facile.

Et continuer de rêver à la grande aventure à un an de maintenant.

La Jalouse. 


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